jeudi 18 février 2010

La privatisation des opérateurs télécoms en Afrique avance

Le continent représente à la fois un marché prometteur et l’un des derniers réservoirs d’opérateurs publics susceptibles d’ouvrir leur capital aux investisseurs. Sont-ils tous attrayants ? Enquête de Jeune Afrique.



Maroc Télécom aurait-il décroché le dernier pompon des télécommunications, avec les 51 % du malien Sotelma acquis en juillet 2009 pour 275 millions d’euros ? Avant lui, Orange s’est emparé de 51 % de Telkom Kenya pour 390 millions de dollars en décembre 2007, et Vodafone de 70 % de Ghana Telecom en juillet 2008 pour 900 millions de dollars. Aucune autre compagnie publique n’a fait depuis l’objet d’une cession de capital ou d’une valorisation aussi importante. Pourtant, il existe encore plus d’une vingtaine de compagnies publiques du nord au sud de l’Afrique. Certes, toutes n’ont pas le même pouvoir de séduction aux yeux des investisseurs. Toutes ne sont pas disposées non plus à ouvrir leur capital. Mais sur un marché qui arrive à maturité dans de nombreux pays africains, les opérations de croissance externe sont l’un des moyens les plus rapides pour augmenter son capital de clients.

Courant 2009, au moins quatre opérateurs ont amorcé un processus de privatisation – qui devrait donc se conclure a priori en 2010 : Bénin Télécoms, Nitel au Nigeria, Zamtel en Zambie et Onatel au Burundi. Principaux atouts des opérateurs publics, leurs infrastructures filaires, le monopole qu’ils exercent sur le gateway – les appels à l’international – et leur activité mobile suscitent les convoitises de certains.

Indiens et Russes sur les rangs

Zamtel, qui affichait 100 millions de dollars de chiffres d’affaires en 2008, a déjà engagé la cession de 75 % de son capital conduite par l’Agence zambienne de développement. Un deuxième tour d’enchères est en cours, quatre postulants ont d’ores et déjà été retenus, qui ont remis leurs offres le 23 décembre 2009 : le groupe public indien BSNL, l’angolais Unitel et le libyen Lap Green, rejoints en dernière minute par un groupe d’investissements russe, Altimo. Le plus offrant l’emportera. À lui seul, l’audit confié à Capital RP, basé aux îles Caïman et chargé d’évaluer les actifs, a coûté 2 millions de dollars. Mais le gouvernement refuse d’en dévoiler la teneur. Volonté de ne pas révéler la valeur exacte de l’opérateur à la vente ? « Les investisseurs ont quand même une idée de ce qu’ils achètent », estime Thecla Mbongue, du cabinet d’études Informa Telecom, basé au Cap. De façon générale, « le repreneur pense plus à ce qu’il peut faire de la compagnie qu’à ce qu’elle vaut vraiment ».

Dans cette optique, l’opérateur nigérian pourrait enfin trouver preneur. « Nitel est le seul à avoir fixé un calendrier, souligne Thecla Mbongue… même s’il n’est pas respecté », ajoute-t-elle. L’échéance de l’appel d’offres a été différée à deux reprises. Dernier report en date, le 27 janvier, qui a fixé la dead­line au 15 février 2010. « Ils en sont toujours à la short list, précise l’analyste, mais ils acceptent encore de nouveaux soumissionnaires. »

À l’inverse, le mystère plane sur la privatisation de Bénin Télécoms, dont Désiré Adadja, ministre de la Communication, a affirmé à plusieurs reprises depuis juillet 2009 qu’elle aurait lieu « bientôt ». Un consortium de cabinets conseil a même été chargé d’accompagner le processus de privatisation et de lui remettre un rapport d’audit préalable sur la compagnie avant la fin de l’année 2009. Résultat : 2010 est entamée et rien n’a filtré du rapport. Rien non plus du premier appel d’offres lancé en novembre, clos en décembre dernier. « Jusqu’à présent, les postulants sont restés inconnus », confirme Binta Drave, analyste au sein de la banque d’investissement Exotix, basée à Londres. On n’en sait pas davantage sur le calendrier du processus. Quant à l’Onatel, un avis d’appel d’offres pour l’audit de ses comptes a été publié en novembre 2009, clos le 28 décembre.

Poids relatif de la dette

Seule certitude, tous ces opérateurs sont lourdement endettés. 200 millions de dollars plombent Zamtel. Quant à Bénin Télécoms, il peine à quantifier sa dette. Nitel ne paye pas ses employés depuis des mois et n’a toujours pas réglé ses frais d’interconnexion à MTN. « Dans les télécoms, la dette en tant que telle n’est pas le problème, tranche Guy Zibi, fondateur d’AfricaNext, société de consulting. La question porte surtout sur la capacité de l’entreprise à générer du cash-flow pour la rembourser. » Un rapport récent estime ainsi que le futur repreneur de Zamtel pourra gagner 15 % de parts de marché en six ans et passer de 160 000 à 1,8 million d’abonnés. Mais il y a urgence, de l’avis d’un expert : « Zamtel et Nitel ne survivront pas longtemps en l’état. »

Plus déterminante que la dette, la stabilité politique du pays conditionne l’attractivité de la vente. Les investisseurs, du moins les plus prudents, ne se bousculent pas vraiment au portillon de TelOne au Zimbabwe, de Sotelgui en Guinée ou de Sotel Tchad. Et la vacance à la tête de la présidence nigériane risque de freiner la cession de Nitel. Mais rien n’est jamais définitif. Le 2 février, l’éthiopien ETC a confié la gestion de son management au français Sofrecom. Une première étape avant une entrée au capital ?

Reste le camp des irréductibles, les États qui se refusent à céder leur opérateur, jugé « stratégique ». « Les Algériens et les Égyptiens ne privatiseront pas », tranche ainsi Albert Fondop-Fonkam, patron de Fonsali et Cie, active dans la banque d’affaires. En 2006, un coup d’arrêt brutal a été donné à l’ouverture amorcée d’Algérie Télécom, qui, pour le coup, intéressait nombre d’investisseurs. Pour Laurent Benzoni, fondateur associé du cabinet conseil Tera Consultants, « privatiser est avant tout une décision politique ».

Mais « la privatisation n’est pas la panacée, juge Guy Zibi. Certaines compagnies n’en ont pas besoin ». Et de citer BTC au Botswana et TDM au Mozambique, « efficaces au plan opérationnel et rentables ». La recette de leur succès ? La bonne gouvernance…

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